Crédit photo : Anoush Abrar |
Chers lecteurs,
Aujourd'hui, je reprends le clavier avec une chronique au ton plus léger peut-être. J'aimerais vous parler de ma passion pour les ouvrages de l'écrivain suisse Joël Dicker, dont les romans se vendent comme des petits pains. Une passion que j'analyse aujourd'hui à l'aune d'une quasi décennie de lecture de ses ouvrages, et qui s'est ternie avec la lecture de son dernier opus, Un animal sauvage.
Petit retour en arrière. Dicker, je le découvre en Terminale. Ai-je emprunté La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert au CDI du lycée, à la bibliothèque de mon village, à ma mère ou à une copine ? Mes souvenirs sont flous. Ce dont je me souviens, en revanche, c'est de n'avoir pas pu décrocher ce livre. La Terminale, c'est l'année du Bac, c'est le marathon du travail, c'est le conseil maintes fois prodigué de nuits de sommeil complètes et réparatrices. Tous ces voeux pieux et ces préconisations parentales fort avisées, c'était sans compter sur le maître du polar suisse. J'ai reposé l'ouvrage le soir même de son ouverture, après l'avoir dévoré de couverture à page de garde... et il était bien 4 heures du matin. Ce fut une révélation : j'étais conquise par une plume qui se vit intensément, par les allers-retours entre passé et présent, puis par le suspense maîtrisé à la perfection, celui-là même que l'on attend des séries aux épisodes terminant sur un cliffhanger intenable. "Encore un dernier, et j'arrête...". Le caractère ambivalent des protagonistes, la peinture peu reluisante de certains vices humains, les dilemmes moraux que soulève l'intrigue, et bien sûr l'incursion dans un monde que je connais de si loin, celui d'un enseignant fortuné et d'un écrivain désemparé, ont composé ce cocktail savoureux que j'ai siroté jusqu'à la lie, avec délectation.
Sort ensuite (dans le désordre, sûrement, vous irez vérifier la chronologie exacte si cela vous intéresse), L'affaire Alaska Sanders. Et là, le coup de foudre se reproduit, le charme opère pour la seconde fois. Je suis subjuguée. Comment un écrivain peut-il rendre sa production si passionnante, d'où lui viennent donc ses idées et de quelle manière tisse-t-il si habilement les liens entre passé et présent, qui rendent le dénouement tragique aussi inattendu que cohérent ? Je me régale de ses autres titres, avec notamment l'excellent Enigme de la chambre 622 dont la trame mêle avec finesse et une pointe de quatrième-mur-brisé-au-marteau, la fiction et la réalité. C'est avec cet ouvrage que je m'interroge : Dicker est-il malheureux ? La condition d'auteur à succès est-elle si enviable que cela ? Sa femme a-t-elle déjà eu peur pour sa vie, avec le talent de son écrivain de mari qui serait parfaitement capable de planifier le crime parfait ? (Spéculation purement intellectuelle, ne me poursuivez pas en justice pour diffamation... après tous les livres que je vous ai achetés, cher Monsieur Dicker...).
Le livre des Baltimore me transporte dans un autre univers. Moins haletant, plus narré, le suspense est bien là mais le thème plus profond de cet ouvrage me touche différemment des précédents. On ne quitte pas tout à fait le registre des polars, ni cette habitude de superposé passé et présent. Mais cette fois, la morale est plus claire. A l'instar de Dostoievski, dans le bouleversant Anna Karénine ("Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l'est à sa façon."), Dicker brosse le portrait du douloureux passage de l'enfance à l'âge adulte, avec son cortège de découvertes de secrets familiaux inavouables, d'illusions qui tombent et de désillusions qui émergent. J'ai aimé ce livre précisément pour cela, moi qui le lisait dans cette même période de ma vie, à cheval entre la fin de l'adolescence et le début de l'âge adulte. Il m'accompagne ainsi comme un ami un peu plus âgé qui vous aide à grandir sans tirer sur vos pétales pour vous faire pousser. Et je lui en sais gré.
Fast forward. Ma première déception avec les romans de Dicker, s'appelle La Disparition de Stéphanie Mailer. Pour tout vous dire, ce livre ne m'a laissée aucune impression pérenne. Je me souviens à peine de l'intrigue, encore moins des péripéties ou du dénouement. Être déçue par un Dicker, voilà une sensation nouvelle que je ne pensais pas ressentir. Et pourtant, ce goût de réchauffé s'est confirmé avec son dernier ouvrage en date, Un animal sauvage. Nuançons : le roman n'a pas le caractère insipide que m'a laissé La Disparition... Il y a même des éléments intéressants, à l'instar de ce conte sur le tigre domestiqué qui fonde l'intrigue, l'air de rien. Mais ce qui m'a déplu dans ce roman, c'est le cliché des personnages. Ils sont soit trop riches, beaux, solaires et charismatiques, soit trop médiocres, banals, envieux et médisants. Ces archétypes manque de nuances, de cette subtilité qui m'avait tant séduite avec Harry Quebert dont l'ambivalence marquait la finesse de l'écriture de Joël Dicker. Et en fin de compte, après avoir terminé l'ouvrage, malgré son caractère hautement addictif et son statut de star littéraire de la rentrée, j'ai ressenti un brin de lassitude, une touche de déjà-vu. J'aime bien Joël Dicker, mais à la longue, c'est toujours pareil. Les allers-retours entre passé et présent ne me perdent pas, mais ils sont convenus. Les personnages se ressemblent. Les ficelles relèvent davantage de la corde de marin que du fil de soie de mûrier. Les mots eux-mêmes sont moins bien dosés, saturés parfois, comme s'il fallait accentuer les émotions à coup de phrases définitives et de formules attendues.
Quelques mots de conclusion...
Je crois avoir lu quelque part que Joël Dicker prendrait sa retraite d'écrivain dans un livre ou deux. Peut-être que lui-même ressent cette pression du jeune prodige dont le premier livre a eu un succès si retentissant, un éclat si aveuglant, qu'il ne parvient plus à se dépasser, encore moins à se réinventer. En somme, Dicker serait-il dans l'état de son premier protagoniste, Marcus Goldberg, paralysé par un syndrome de la page blanche doublé d'une forme de syndrome de l'imposteur ? Je lui souhaite de parvenir à sortir de ce microcosme, de cette toile d'araignée du monde de la critique littéraire qui piège les auteurs à succès et déstabilise ceux qui ne l'ont pas (encore) rencontré. D'écrire avec autonomie et indépendance, comme on le ferait sans pression, pour créer, pour s'amuser, pour pratiquer sans prétention quelconque un hobby. De parvenir à sortir de ce que l'on attend de lui, aussi bien son lectorat que ses contempteurs.
Bref, de regagner sa liberté.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les commentaires sont encourageants pour un créateur de contenu. Emis avec bienveillance, ils invitent à l'amélioration constante et perfectionnent le contenu. Ils viennent également nourrir la créativité. Alors, ami lecteur, n'hésite pas à t'exprimer !