DERNIERES CHRONIQUES

         


1 mai 2020

Débat - Lecture et contagion émotionnelle : faut-il de la maturité pour lire ?




LE DEBAT DU MOIS 

Chaque mois, je vous propose de débattre sur un thème de l'actualité littéraire. Ce mois-ci, j'aimerais recevoir vos avis et vos remarques sur celui de la contagion émotionnelle occasionnée par la lecture, et des pistes de réflexion qui l'accompagnent.

AUX ORIGINES

En classe de Première, notre filière littéraire a étudié Madame Bovary de Gustave Flaubert. Ce classique de la littérature française, au demeurant très bien écrit, a occasionné mon brutal arrêt de toute lecture d'ouvrages de littérature romantique. Je me suis en effet reconnue dans une partie du personnage d'Emma Bovary, aux émotions exacerbées par ses lectures et aux attentes déçues car fondées sur une réalité romanesque illusoire. Pendant des années, je me suis donc tenue à saine distance de tout roman qui aurait influencé pour le pire ma conception de l'amour, et j'ai préféré l'expérimenter avec fragilité et imperfection auprès de celui qui est aujourd'hui mon fiancé. La contagion émotionnelle commençait à devenir trop pernicieuse à mon goût, et je ne regrette pas ce choix. Aujourd'hui, j'ai grandi et mûri. Et si je ne lis toujours plus de romans à l'eau de rose, ce n'est pas tant par crainte que par perte de goût pour ce type de récit !

LA CONTAGION EMOTIONNELLE AU COURS DE MES LECTURES

Coïncidence actuelle, je cherchais une définition de la contagion émotionnelle lorsque je suis tombée sur un ouvrage du chercheur en psychologie sociale Christophe Haag au titre éponyme : il définit son objet d'étude en expliquant que "Les émotions sont contagieuses comme des virus". Et de fait, je l'ai expérimenté à maintes reprises. Les sentiments du protagoniste que je découvrais au fil de ma lecture devenait les miens et je trouvais des similitudes troublantes avec ses propres expériences de vie. Certains livres, trop prenants émotionnellement, ont ainsi dû être reposés afin que la pression retombe un peu. D'autres encore me mettaient de mauvaise humeur. D'autres semblaient apporter un éclairage nouveau à une situation de ma vie, une sorte d'épiphanie presque surnaturelle tant elle me paraissait adéquate. Ce qui me poussait à dir que "non, vraiment, ce livre a été écrit pour moi !". Alors, narcissisme mal placé ou véritable phénomène ?

LA LITTERATURE COMME MIROIR DE LA REALITE

A mon sens, ce phénomène est bien réel et il s'accentue selon les profils. Naturellement, l'auteur va chercher à créer de la ressemblance entre ses protagonistes et ses lecteurs, afin de rendre la narration intéressante et de gagner le temps et le coeur de son lectorat. Rien de très nouveau là-dedans, la littérature se veut le plus souvent comme un miroir de la réalité : et même la fiction la plus éloignée de notre monde aura à nous instruire de quelque trait de caractère, valeur morale et leçon de vie qui nous feront grandir. Néanmoins, certaines personnalités hypersensibles ou en manque de repères identitaires vont absorber les éléments du récits comme un papier buvard, pour le meilleur et pour le pire. En effet, leur cerveau et notamment leurs neurones "miroir" vont tisser des connexions émotionnelles entre ce qu'ils lisent et leur propre vie, et l'absence ou la faiblesse de barrières mentales construites avec un esprit critique et une connaissance de soi ne feront qu'accentuer le phénomène d'assimilation par le lecteur de la personnalité des protagonistes du récit... au risque de ne plus savoir distinguer entièrement le réel de la fiction.

LIRE EN CONSCIENCE DE SOI ET EN OUVERTURE AVEC LES AUTRES

Je suis intimement persuadée que la lecture peut être cathartique. Je ne saurais l'expliquer en des termes techniques mais je l'ai expérimenté à maintes reprises. Cependant, je pense également que pour que le livre soit bénéfique à son lecteur, surtout lorsque sa lecture est émotionnellement chargée, il doit être arpenté avec une certaine maturité et la possibilité d'en débattre ultérieurement afin d'obtenir des réponses et des réassurances de la part de proches solides et plus expérimentés. De plus, si les livres contribuent à notre éducation et notre construction en nous ouvrant au monde, je pense nécessaire un suivi parental bienveillant et ouvert sur les lectures des adolescents. Sans les censurer, mais plutôt dans une démarche d'accompagnement, ce suivi permettrait d'orienter les jeunes et de faire sortir de leur coeur les émotions de violence et de douleur que certains livres auraient pu y déposer. Finalement, il y'a quelque chose du jeu vidéo dans la lecture et n'en déplaise aux réfractaires : l'immersion y est grande car l'imagination est galopante. A mon sens, pour lire "mieux", il faut lire "bien". Et pour lire "bien", il faut apprendre à se connaître, à connaître ses limites et ses déclencheurs émotionnels. Et si vos proches où les blogs que vous visitez peuvent permettre de déposer le trop-plein d'une lecture émotionnellement chargée, voire même de dépasser la lecture en poursuivant la réflexion, c'est encore mieux !

Et vous, qu'en pensez-vous ?  
Safran

6 commentaires:

  1. Merci pour cet article très intéressant ! Madame Bovary a eu un peu le même effet pour moi mais je dois avouer que je n'ai pas pu m'arrêter pour autant >< Je ne lis plus de romans à l'eau de rose ou de new romance mais je continue à apprécier pleinement les romances liées à d'autres thèmes ou à de la fantasy ^^

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Une autre victime de la Bovary ! ;)
      Oui je te comprends, je raffole comme toi de ces univers si créatifs qui me font voyager...

      Supprimer
  2. Je trouve aussi ton article très intéressant !
    C'est cette contagion émotionnelle qui me plait dans les lectures, et je la trouve beaucoup plus présente dans les lectures jeunesses ou Young adult. La lecture peut faire ressortir certaines émotions, et parfois sa fonction cathartique est parfaitement bien réalisée, mais parfois, comme tu le disais, cela engendre un trop plein émotionnel difficile à gérer. C'est pourquoi parler est si important

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup pour ton encouragement chère Enora :) !
      Oui en effet, elle est particulièrement accentuée en YA. Mais je pense que ça tient également au fait que les jeunes et spécialement les adolescents, en pleine construction identitaire, sont bien plus "poreux" aux émotions et comportements - que ce soit dans la vie réelle ou dans la vie fictive. En tous cas je suis heureuse de voir que nous partageons le même avis!

      Supprimer
  3. Très bel article, très instructif !
    Ca m'arrive bien souvent de ressortir d'une lecture avec un trop plein d'émotions et selon l'émotion : elle retombe sur mon entourage... Surtout la tristesse. C'est pour ça que je ne lis pas de autobio/biographie, j'ai tendance à trop m'identifier (ou à vouloir m'identifier) au sujet.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup chère Fofie !!
      Je comprends, c'est vraiment pareil pour moi... Et idem pour les biographies, surtout les plus récentes. C'est plus simple quand la biographie relate la vie de quelqu'un de parfaitement inaccessible je trouve !
      Au plaisir de te lire :)

      Supprimer

Les commentaires sont encourageants pour un créateur de contenu. Emis avec bienveillance, ils invitent à l'amélioration constante et perfectionnent le contenu. Ils viennent également nourrir la créativité. Alors, ami lecteur, n'hésite pas à t'exprimer !